Mesdames et Messieurs,

C'est avec une émotion sincère que je m'adresse à vous aujourd'hui.

Ce n'est pas mon premier discours du 11 novembre mais je me suis plongé dans l'histoire tragique que je vais vous raconter et elle m'a touché.

Jackie Spinner, à qui aujourd'hui nous rendons hommage est le fils de William, soldat anglais venu chez nous en 1918 pour chasser l'occupant et nous libérer.

Lors de son passage à Dour, William y rencontre une jeune modiste, Louisa, qu'il marie dès la fin des hostilités.

Il s'établit dès lors à Dour et se retrouve bien vite à la tête d'une famille de 4 enfants dont Jackie né le 28 mars 1924.

En 1940, Jackie a donc juste 16 ans lorsqu'une nouvelle fois notre pays est envahi. A l'arrivée des Allemands, les Spinner, sujets britanniques sont arrêtés. L'épouse et les 2 filles sont rapidement relâchées. Hilda Spinner, l'une des deux petite filles de l'époque est parmi nous aujourd'hui. Elle continue a porter fièrement la mémoire de son frère.

Jackie, vu son jeune âge, est libéré après 10 semaines de détention. William, le père et frère aîné sont envoyés en Allemagne. Ils y resteront toute la durée de la guerre.

A son retour à Dour, Jackie doit quitter l'Athénée où il était élève, pour travailler et subvenir aux besoins de sa famille.

Dès décembre 1940, Jackie intègre le réseau de presse clandestine et de renseignements "La Liberté" dont le responsable local est le Notaire Dehem Malgré son jeune âge il reçoit tout de suite un rôle important et dangereux. Il est le courrier principal c'est à dire chargé de déposer les journaux clandestins dans les dépôts de distribution du canton et sur le Bavaysis.

Mais en avril 1942, le réseau est infiltré. Il y a des arrestations. Jackie essaye de gagner l'Angleterre pour rejoindre les forces libres. Il est malheureusement arrêté le 10 juin à Chalons-sur-Saône, en tentant de franchir la ligne de démarcation.

Sa famille ne le reverra plus. Sa maman ne s'y résoudra jamais. Continuant durant des années à guetter un hypothétique retour.

Après différentes prisons dans lesquelles il subit la torture, il est condamné par un tribunal allemand au bagne sous le terrible statut "Nuit et Brouillard" en allemand "Nacht und Nebel". C'était le sort réservé aux personnes représentant un danger pour la sécurité de l'armée allemande (saboteurs, résistants). Ces personnes devaient être transférées en Allemagne et disparaître dans le secret absolu.

Pour comprendre ce qui signifie ce statut "Nuit et Brouillard" je vous livre les instructions qui datent du 7 décembre 1941, et qui émanent du chef des SS Heinrich Himmler pour application par la Gestapo :

Je cite : 

« Après mûre réflexion, la volonté du Führer est de modifier les mesures à l'encontre de ceux qui se sont rendus coupables de délits contre le Reich ou contre les forces allemandes dans les zones occupées. Notre Führer est d'avis qu'une condamnation au pénitencier ou aux travaux forcés à vie envoie un message de faiblesse. La seule force de dissuasion possible est soit la peine de mort, soit une mesure qui laissera la famille et le reste de la population dans l'incertitude quant au sort réservé au criminel. La déportation vers l'Allemagne remplira cette fonction.»

Le maréchal Wilhelm Keitel publie une lettre qui dit explicitement :

A. Les prisonniers disparaîtront sans laisser de trace B. Aucune information ne sera donnée sur leur lieu de détention ou sur leur sort.

Suite aux progressions russes et alliées, Jackie Spinner quittera le bagne en juillet 1944 pour être intégré dans le sinistre camp de travail et d'extermination de "Sachso" près de Berlin.

Ce camp de "Oranienburg-Sachsenhausen, où furent détenus 8 000 Français, est l'un des camps de concentration les moins connus chez nous.

Il fut pourtant le quartier général de l'inspection centrale SS et le coeur même du système concentrationnaire nazi : on y expérimentait les méthodes d'extermination massive appliquées ensuite dans les autres camps ; les détenus y servaient de cobayes pour des "études" pseudo-médicales.

Sachso, qui vit passer 200 000 prisonniers de vingt nationalités, Jackie Spinner y restera près d'un an.

En avril 1945, alors que les Russes sont à 30 km, les nazis décident d'évacuer le camp par marche forcée dans des conditions épouvantables. Les 30.000 détenus, dont Jackie Spinner, se mettent en route pour une marche de 12 jours

Il y aura environ 6000 morts.

Parmi-eux, le matricule 116.901 de Jackie Spinner.

On sait, par le témoignage de survivants que malgré son jeune âge il a eu pendant sa captivité une conduite exemplaire et digne. Il a agi en parfait patriote.

D'autres dourois appartenant au même réseau ne sont pas revenus de captivité. Je tiens particulièrement que leurs noms soient également cités ce matin.

Camille André, décédé en captivité. Victor Caudron d'Elouges, exécuté Jacques Dehem, décédé en captivité Emile Thomas, décédé en captivité.

Je remercie tous ceux qui sont là,aujourd'hui ici à Dour où au même moment sur nos monuments à Elouges, à Wihéries, à Petit Dour et à Blaugies. Je suis particulièrement heureux d'inaugurer, 65 ans après les faits tragiques que je viens de relater, une plaque commémorative à la mémoire de Jackie Spinner.

Puisse l'exemple de Jackie Spinner et de tous ceux qui comme lui ont fait preuve de courage et d'héroïsme, inspirer les uns et les autres.

Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en exergue l'esprit de dévouement, de sacrifice, de bravoure, qu'un jeune tout-à-fait ordinaire de chez nous, a mis au service de notre patrie et de ceux qui peuvent y vivre aujourd'hui dans la liberté.

Carlo Di Antonio, Le 11 novembre 2009 A l'occasion de l'inauguration de la plaque commémorative de Jackie Spinner.