M. Carlo Di Antonio (cdH).

Comme chacun sait, depuis maintenant plusieurs semaines, la Chine est secouée par des troubles et des émeutes au Tibet. La répression organisée par le pouvoir chinois pour reprendre le contrôle complet de sa Province tibétaine est particulièrement violente et vise à faire taire toute dissension ou critique du régime communiste en place. En effet, celui-ci veut à tout prix pouvoir profiter de la tenue, au mois d'août, des jeux olympiques de 2008 à Pékin pour montrer au monde l'image d'une société « harmonieuse », d'une Chine « moderne », qui serait en train d'émerger comme la prochaine puissance mondiale. Il est bien évident que la situation qui prévaut au Tibet et les émeutes qui agitent cette région depuis plus d'un mois mettent à mal ce souhait. C'est le moins qu'on puisse dire.

Dans ce contexte, la question générale du sort de cette Province, annexée par le régime chinois en 1950, occupe à nouveau le devant de la scène internationale. Les demandes d'autonomie (mais pas d'indépendance) et la question de la survie de la culture, de la langue et de la religion tibétaines face à la volonté d'assimilation forcée par la Chine prennent à nouveau tout leur sens, portées médiatiquement par la voix résolument nonviolente du Dalaï Lama depuis son exil en Inde.

Bien évidemment, la Chine accueillant les jeux olympiques à partir du 8 août à Pékin, ses agissements au Tibet rappellent à beaucoup les critiques de toujours quant au respect des droits humains les plus élémentaires et à la liberté d'expression, bafoués par le pouvoir chinois à l'égard de l'ensemble de ses citoyens, qu'ils soient tibétains ou non.

Dès lors, on peut s'interroger à juste titre sur la légitimité donnée aux dirigeants chinois par la tenue de la « grande fête » olympique sur leur sol. Avec les émeutes tibétaines et la répression qui les a suivies, la triste réalité chinoise a rattrapé la communauté internationale. Celle-ci ne peut donc plus faire abstraction de cette réalité, ni considérer la Chine que comme un partenaire commercial incontournable et se voiler la face en allant à Pékin célébrer l'harmonie entre les peuples et les valeurs olympiques de paix et de respect, comme si de rien n'était.

Face à une telle situation, vous ne serez pas vraiment surprise par mes questions. Je souhaiterais globalement vous entendre sur la position que va défendre la Région wallonne dans ce dossier. Plusieurs options ont été entendues dans les médias : certains ont parlé de boycott des JO, d'autres de sanctions économiques, d'autres encore de non-participation des Gouvernements aux cérémonies d'ouverture et/ou de clôture des JO. Au final, comment allons-nous nous déterminer sur l'ensemble de cette problématique ?

Par ailleurs, qu'en est-il aussi de nos accords commerciaux avec la Chine, tant au niveau de nos exportations que de l'accueil d'investissements chinois en Wallonie ? Comment cet aspect important des choses est-il pris en compte dans l'élaboration de notre position officielle vis-à-vis du Gouvernement chinois ? Votre collègue Jean-Claude Marcourt, en charge du Commerce extérieur, vous a-t-il fait part de ses analyses et avis à ce propos ?

En outre, afin de présenter une position et un discours cohérents, comment allons-nous nous insérer dans les éventuelles décisions belges et européennes sur ces questions ? Comment, et de quelle manière, comptons-nous influencer ces prises de position communes ? Le Gouvernement wallon a-t-il déjà aujourd'hui décidé de ce qu'il ferait au mois d'août ? Avez-vous déjà pu vous concerter avec votre collègue Michel Daerden, en charge des Sports à la Communauté française ?

Bref, au bout du compte, comment pouvons-nous agir concrètement et faire pression sur la Chine pour que les violences actuelles cessent enfin, pour que la liberté d'expression puisse être respectée, pour qu'un dialogue constructif puisse s'établir afin de parvenir à une solution négociée et pacifique en faveur de tous les Tibétains ?

De grandes envolées médiatiques oubliées dès le lendemain n'apporteront rien aux premiers concernés, c'est-à-dire les victimes du régime de terreur chinois. Il faut que nos actions puissent réellement aider sur le terrain et ne soient pas uniquement une manière d'occuper la scène médiatique par des condamnations stériles et non suivies d'effets !

Il est clair que plusieurs initiatives et sanctions peuvent s'avérer en définitive contreproductives, à l'exemple du boycott complet des JO, le Dalaï Lama lui-même s'y oppose. Il est également clair que, seule, la « petite » Région wallonne peut très difficilement espérer avoir un impact significatif sur la politique chinoise. Ces deux éléments me semblent incontournables. Il nous faut donc déterminer une position et des actions volontaires mais réalistes ; puis, participer à la « construction » d'une position commune forte de l'Union européenne.

Le rôle positif essentiel du Dalaï Lama dans toute cette problématique doit aussi être souligné : il s'agit d'une personnalité particulièrement respectée, tant par les Tibétains que par la Communauté internationale. C'est un apôtre de la non-violence, Prix Nobel de la Paix ; et, encore ces dernières semaines, il a appelé à un arrêt des violences et à la mise en place d'un dialogue constructif pour trouver des compromis acceptables par tous, réclamant plus d'autonomie pour le Tibet, mais toujours à l'intérieur de la Chine. Dès lors, la Région wallonne compte-t-elle insister pour qu'il soit activement associé aux diverses démarches visant à trouver une solution ?

Je souhaite profiter des circonstances pour rappeler l'existence d'une résolution « visant à inviter officiellement le Dalaï Lama au Parlement wallon ainsi que devant les autres Assemblées parlementaires belges ». Celle-ci avait été approuvée par les quatre Groupes politiques démocratiques de ce Parlement le 29 mai 2007 en Commission et le 13 juin 2007 en séance plénière. Certes, vous n'êtes pas directement concernée par cette résolution puisqu'elle s'adressait en fait à la Présidence du Parlement, en demandant à celle-ci d'effectuer toutes les démarches nécessaires pour lancer cette invitation au Dalaï Lama (si possible, de manière commune avec les autres Assemblées).

Malheureusement, force est de constater qu'à ce jour, rien ne semble avoir été fait sur ce point. C'est évidemment très regrettable, et ce l'est d'autant plus suite aux événements des dernières semaines. Il me semblerait, dès lors, important de relancer cette résolution et cette invitation. Il s'agirait alors d'un acte concret, d'une forme de position officielle que nous pourrions prendre, en tant que Parlementaires, face aux troubles actuels au Tibet. Et ce serait aussi une sorte de soutien symbolique et politique à l'endroit du Dalaï Lama et de son « combat » non-violent.

En conclusion de mon interpellation, afin de « réactiver » la résolution votée l'an dernier, je déposerai donc une motion en ce sens qui, je l'espère, obtiendra le soutien le plus large possible de l'ensemble des Parlementaires lors de la prochaine séance plénière.

Mme Marie-Dominique Simonet, Ministre de la Recherche, des Technologies nouvelles et des Relations extérieures, en son nom et au nom de M. Michel Daerden, Ministre du Budget, des Finances et de l'Équipement.

J'ai eu l'occasion d'aborder cette thématique avec M. Daerden au Parlement de la Communauté française. Il m'a demandé de répondre à sa place à la question qui lui est posée. Comme exprimé par différents Parlementaires, il est important de privilégier une approche européenne concertée. MM. De Gucht, Chastel et Leterme se sont exprimés dans ce sens, comme d'autres pays européens. La question qui se pose est de savoir quel est le véritable interlocuteur de la Chine. Il semblerait que cet interlocuteur soit l'Europe en tant que civilisation, espace d'échanges commerciaux et politiques. Cela ne veut pas dire que la Région wallonne doit rester inactive, mais qu'il est important de replacer nos exigences dans ce contexte.

Dans un premier temps, il est important de préparer une position belge cohérente. Pour ce qui est d'un éventuel boycott de Jeux Olympiques, je voudrais indiquer que celui-ci n'est pas une option. Personne ne le réclame officiellement d'ailleurs, pas même le Dalaï-Lama qui souligne que l'organisation des Jeux Olympiques à Pékin permet de mettre un focus sur la situation des Droits de l'Homme en Chine. La position de l'Union européenne est toute aussi claire puisque, tout en rappelant l'importance des idéaux et des valeurs olympiques, ainsi que son soutien aux Droits de l'Homme, les Ministres de l'Union européenne ont exclu toute idée de boycott.

En ce qui concerne la participation à la cérémonie d'ouverture, aucune décision n'a été prise à ce stade. Une telle décision doit être évaluée en privilégiant une approche concertée au niveau européen et en tenant compte de l'évolution de la situation au Tibet, en particulier au regard du respect des Droits de l'Homme. Il me semble essentiel de rappeler notre attachement à la défense des valeurs fondamentales et universelles des Droits de l'Homme. Le Conseil de l'Union européenne du 28 mars a d'ailleurs précisé que « L'Union estime que le respect du droit à la liberté d'expression, et d'autres Droits de l'Homme tel celui de ne pas faire l'objet d'une détention arbitraire, est non seulement essentiel pour la prospérité économique et la stabilité sociale à long terme, mais se justifie en tant que tel. L'Union européenne soutient la recommandation du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, selon laquelle la sécurité de l'État ne saurait être utilisée pour affaiblir les droits en question.

L'Union européenne estime que les accusations de « subversion » formulées à l'encontre des personnes ayant exprimé pacifiquement leurs opinions portent atteinte au droit à la liberté d'expression consacrée tant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que dans la Constitution de la République populaire de Chine. » Nous devons ainsi continuer à exprimer notre inquiétude suite aux condamnations dont sont victimes les défenseurs des Droits de l'Homme et de la liberté d'expression en Chine, comme celle de M. Hu Jia.

La situation au Tibet est et reste préoccupante. Je souhaite que nous puissions continuer à exprimer notre inquiétude, notre condamnation de la violation des Droits de l'Homme et demander sans relâche l'arrêt des violences, ainsi que la transparence et le libre accès des médias. L'Union européenne a pris note, le 29 mars dernier, du récent engagement du Dalaï-Lama à la non-violence et à l'autonomie, non à l'indépendance, du Tibet. Elle a appelé à « un dialogue concret et constructif en vue d'aborder des questions essentielles, comme celle de la sauvegarde de la langue, la culture, de la région et des traditions tibétaines. » Cet objectif de dialogue est le fondement de notre relation avec la Chine. Il est essentiel et indispensable si nous voulons peser, même modestement, sur une évolution positive de la situation des Droits de l'Homme en Chine.

J'ai eu l'opportunité de m'entretenir avec l'Ambassadeur de Chine et de mettre en avant l'importance que le Gouvernement octroie à des valeurs fondamentales qui ont une vocation universelle, comme les Droits de l'Homme, les principes de la liberté d'expression ou encore du respect de la diversité culturelle. La coopération que la Région et la Communauté entretiennent avec la Chine permet ainsi de défendre ces valeurs, mais aussi de contribuer à l'ouverture de la Chine amorcée depuis les années 80. Je pense notamment à l'envoi de professeurs ou d'étudiants de la Communauté française en Chine ou à l'accueil d'étudiants chinois dans nos universités.

Pour ce qui est de la résolution que vous aviez adoptée invitant officiellement le Dalaï Lama au Parlement wallon, il appartient bien évidemment au Parlement de concrétiser celle-ci. Je reste, pour ma part, à votre disposition pour faciliter cette invitation. Pour ce qui concerne la position de mon Collègue Jean-Claude Marcourt, je ne peux que vous inviter à vous adresser à lui.

Par ailleurs, le Ministre Daerden m'indique que les Jeux Olympiques constituent manifestement une compétition sportive relevant de la Communauté française et non pas de la Région wallonne. Il s'est déjà exprimé sur la question devant la Commission concernée du Parlement de la Communauté française et vous rappelle dès lors succinctement sa position. Il se dit interpellé par les événements dans la Province du Tibet. Il estime que la Belgique doit adopter une position unique confortée par la position européenne. Il constate, comme moi, que nombre d'avis émis à ce jour écartent a priori le boycott par les athlètes sélectionnés. Il serait, en effet, injuste de refuser à nos sportifs sélectionnés de représenter les couleurs de la Belgique au cours de cet événement. Selon lui, il convient de ne pas instrumentaliser les athlètes au plan politique, rappelant que ces derniers n'ont pas choisi la ville dans laquelle se dérouleront les Jeux Olympiques cet été.

Il convient de souligner que le Comité Olympique International Belge a décidé, en janvier dernier, qu'un code de bonne conduite serait remis aux athlètes. Ce code précise qu'ils auront le droit de s'exprimer à titre personnel sur les questions qu'ils considèrent comme importantes, sachant toutefois que la Charte olympique ne permet pas d'exprimer d'opinions politiques sur les sites olympiques et les lieux de compétition.

Il convient d'ajouter que le CIO a déclaré que l'attribution, en 2001, des Jeux Olympiques de 2008 à Pékin serait une chance pour le développement des droits humains. Il note qu'en date du 7 avril, le Président du CIO a appelé à une résolution pacifique de la crise au Tibet et à condamner l'usage de la violence incompatible avec les valeurs olympiques.

En l'état actuel des choses, M. Daerden envisage bien d'être présent en Chine afin d'apporter son soutien aux athlètes francophones, sachant que son attitude sur le plan protocolaire dépendra de l'évolution, d'ici là, de la situation en Chine en regard du respect des Droits de l'Homme et de l'adaptation de la position unique de la Belgique. Comme lui, je pense que notre priorité à toutes et tous est de respecter nos idéaux démocratiques à travers toute la planète, en utilisant le levier de l'olympisme.

M. Carlo Di Antonio (cdH).

Je remercie Mme la Ministre pour sa réponse. Je partage votre analyse quant à la participation aux Jeux Olympiques. Notre action doit être différente. Vous avez rappelé les contacts avec l'Ambassadeur de Chine et la position européenne. Toute initiative qui serait prise pourrait être positive et je souligne l'impact positif de l'invitation qui a été formulée.