M. Carlo Di Antonio (cdH).

Rendu possible grâce aux nouvelles techniques de communication et d'information, le télétravail exercé à domicile, ou dans des lieux déconcentrés, est considéré comme un moyen de moderniser et de rendre plus flexible l'organisation du travail. On y voit, pour les membres du personnel, un moyen de concilier vie professionnelle et vie sociale, de disposer d'une plus grande autonomie dans l'accomplissement de leurs tâches et d'accroître leur productivité. Cette forme donnée au travail peut aussi donner de nouvelles chances d'emploi à des personnes handicapées en difficulté de mobilité. De plus, le télétravail permet une participation à la protection de l'environnement, du fait d'une diminution des déplacements domicile-lieu de travail et, par conséquent, d'une diminution des émissions de gaz à effet de serre.

C'est d'ailleurs dans cette perspective que, dans son programme d'actions « Air-Climat », le Gouvernement wallon a identifié, au sein de la Fonction publique wallonne, des emplois qui pourraient faire l'objet du télétravail. Une expérience pilote est menée sur deux ans par le Ministre Courard au sein du Ministère de la Région wallonne et du Ministère de l'Équipement et des Transports avec un cahier des charges bien précis pour évaluer ce mode de travail. L'analyse des résultats de cette expérience doit permettre au Gouvernement de prendre une décision sur la réorganisation éventuelle du travail dans la Fonction publique.

Concrètement, l'intention était de retenir 25 candidats volontaires pour cette expérience de télétravail à partir du 1er janvier 2008. A ceux-ci s'ajouteront 50 candidats supplémentaires en 2009. Au-delà de ces projets-pilotes, il est malaisé d'estimer l'importance en Région wallonne du nombre des travailleurs concernés par le télétravail dans l'ensemble des entreprises et ce, d'autant plus que le télétravail des employés se présente dans une typologie variée :

• télétravail régulier à domicile soit permanent (+ de 90 % du temps), soit alterné (de 20 à 90 % du temps) ;

• télétravail occasionnel (mois d'un jour par semaine) ;

• télétravail dans des infrastructures de proximité (télécentres) ;

• télétravail mobile qui concerne ceux qui travaillent au moins 10 heures par semaine en dehors du bureau ou du domicile en utilisant des services en ligne.

Puis-je vous demander, Monsieur le Ministre, si vous disposez d'informations statistiques par type d'entreprise sur les télétravailleurs de ces diverses catégories ?

D'autre part, les conditions d'exercice du télétravail doivent être interrogées. Un tel travail ne doit pas, à mon sens, s'exercer à plein temps car il aurait un effet désocialisant trop important pour le travailleur. Certains redoutent aussi que ces formes de travail n'en viennent à précariser l'emploi des travailleurs éloignés de l'entreprise et à favoriser le glissememt des travailleurs vers le statut d'indépendant. D'autres craintes s'expriment encore, telles que la destruction des emplois dans le domaine des services, ou encore les délocalisations vers des pays à bas salaire et à faible protection sociale.

Sans céder au catastrophisme, il importe de rester lucide et vigilant. C'est pourquoi je voudrais vous demander si vous envisagez de prendre des initiatives pour accompagner le développement de cette activité et, en définitive, si vous misez sur ce nouveau mode de travail et ce que vous en pensez.

M. Jean-Claude Marcourt, Ministre de l'Économie, de l'Emploi, du Commerce extérieur et du Patrimoine.

Pour répondre à votre question, le constat doit être fait qu'il n'existe pas, à ce jour et à ma connaissance, de statistiques officielles régulières sur le télétravail en Belgique ou en Wallonie. Les études EFT donnent des chiffres sur le travail à domicile, y compris le travail indépendant, et l'artisanat, ce qui est encore différent de la notion de télétravail qui implique, entre autres critères, l'utilisation de NTIC. Toutefois, des études ont été réalisées sur la question et proposent quelques chiffres sur la Région wallonne. Les deux études auxquelles je ferai référence sont celles relatives au « télétravail en manque de régulation », publiée par Regards Economiques en février 2006 et la lettre d'information du TEF consacrée au télétravail, mais qui propose plus une approche qualitative. Selon ces études, que je tiens à votre disposition, la population active belge concernée par le télétravail varierait entre 6 et 11 %.

D'après l'enquête SIBIS, menée dans les pays de l'Union européenne, et dont les résultats ont été publiés en 2003, la Belgique compterait 437.000 télétravailleurs, soit 10,6 % des personnes en emploi. En Belgique, le télétravailleur type est un homme, entre 30 et 39 ans, en général plus qualifié que les non télétravailleurs, ce qui s'explique principalement par le type de secteur d'activité et les fonctions dans lesquels il est actif, principalement les secteurs technologiques et les fonctions de cadres. J'insiste ici pour rappeler qu'il s'agit bien d'un recours au télétravail et non pas d'un télétravail full time.

Les quelques données relatives à notre pays indiquent une disparité entre le Nord et le Sud. Sans disposer de données nationales ou qui soient vraiment comparables, il est à noter que l'AWT ne recensait que 6 % de la population active occupée effectivement concernée par une forme de télétravail en 2004. En Flandre, 40 % des entreprises implémenteraient le télétravail contre 15 % en Wallonie et 50 % à Bruxelles. Cette différence Nord/Sud peut s'expliquer par la nature du tissu économique des trois Régions et au fait que les problèmes de mobilité ne se posent pas de la même manière dans les villes wallonnes, dans les villes flamandes et à Bruxelles. Rappelons notamment que le projet « Vlaanderen e-werkt » a été lancé en mars 2004, au moment du démarrage de la première phase des travaux du ring d'Anvers.

En ce qui concerne les initiatives que je pourrais prendre en Région wallonne pour développer le télétravail, je pense qu'effectivement, compte tenu de l'évolution du marché du travail, des mutations technologiques, organisationnelles et culturelles, le télétravail pourrait se révéler, dans la décennie à venir, pourvoyeur d'emplois. On ne peut, par ailleurs, que reconnaître la plus-value que le télétravail peut notamment apporter en matière de conciliation entre vie privée et vie professionnelle, de solution aux problèmes des embouteillages des grandes villes ou d'opportunité pour les travailleurs à mobilité réduite. Toutefois, il existe plusieurs formes de télétravail et les avantages de la formule peuvent aussi se muer en effets pervers, lorsque le télétravail, par de trop grandes exigences en matière de flexibilité, finit par s'insinuer dans la vie privée du télétravailleur, lorsqu'il prive celui-ci de la dimension relationnelle et socialisante du travail ou encore quand il le fragilise dans son statut de travailleur en liant contrat ou salaire, non plus au temps de travail, mais à la tâche à réaliser.

En outre, télétravailler nécessite des compétences techniques nouvelles mais aussi d'importants « savoir-être », tant dans le chef des nouveaux managers que des télétravailleurs, notamment en termes d'organisation et de délégation du travail, d'autonomie, de gestion du temps : on ne passe pas aussi facilement qu'il y paraît au télétravail.

C'est pourquoi, si je ne peux que me réjouir du développement des télécentres et encourager le « télétravail pendulaire », sorte de télétravail à la carte, librement consenti par le travailleur, surtout si ces formules sont pourvoyeuses d'emplois et sources d'économie de temps et d'argent, je me dois de rappeler qu'au-delà des objectifs quantitatifs qu'elle s'est fixés, à savoir tendre, à l'horizon 2010, vers un taux d'emploi de 70 %, la Wallonie veut, avant tout, promouvoir des emplois durables et de qualité.

A travers ces concepts, le Gouvernement entend des emplois donnant accès à un salaire décent et exercés dans des conditions de travail optimales, notamment en matière de sécurité. L'emploi de qualité présuppose aussi l'accès pour tous les travailleurs à des formations permettant le développement des compétences tout au long de la vie, la mobilité professionnelle ainsi que l'épanouissement personnel et la promotion sociale, le tout dans un contexte de dialogue social permanent au sein de l'entreprise et où le respect de l'égalité des chances et des genres est une réalité au quotidien. Aussi convient-il que les partenaires sociaux s'accordent sur un cadre définissant ces conditions de travail à respecter.

Je n'ai d'autre souhait que d'assister à la concrétisation de ces objectifs ambitieux et, à ce titre, ce n'est qu'un télétravail répondant aux critères qualitatifs que je viens d'évoquer que je pourrais encourager dans le cadre de mes compétences de Ministre de l'Économie, de l'Emploi, du Commerce extérieur et du Patrimoine. Je suis très attentif à l'évaluation de l'expérience développée par mon collègue Philippe Courard au sein de la fonction publique. Si les enseignements tirés de cette expérience permettent de garantir que les objectifs évoqués seront rencontrés, je ne manquerai pas de prendre les dispositions nécessaires pour favoriser le télétravail en Wallonie.

Je suis d'ores et déjà prêt à soutenir les initiatives pilotes visant à développer le télétravail en tant qu'instrument favorisant une gestion plus efficiente de la diversité des ressources humaines dans les entreprises si celles-ci permettent notamment, d'insérer davantage de travailleurs handicapés dans le circuit ordinaire du travail ou si elles rencontrent des objectifs de promotion de femmes à des postes de cadres dans les entreprises.

M. Carlo Di Antonio (cdH).

Je vous remercie pour cette réponse très complète. Pour l'anecdote, certains employeurs me disent parfois que le meilleur investissement qu'ils aient fait est de prendre en charge la ligne adsl de leurs employés qui, du coup, travaillent un peu plus à la maison et envoient même des mails professionnels tard le soir ou le week-end. Par ailleurs, aller tous à Bruxelles, tous les jours, à la même heure, ça n'a plus aucun sens.