M. Carlo Di Antonio (cdH).

Aujourd'hui, après cinquante ans de tendance générale à la baisse des prix des produits agricoles, on semble reparti dans un cycle à la hausse. Les stocks alimentaires mondiaux ont atteint des niveaux particulièrement bas conduisant au doublement du prix des céréales en moins de deux ans. Trois facteurs, concourent à cette flambée des prix : le développement des agrocarburants, l'impact du réchauffement climatique et la demande alimentaire croissante de produits carnés.

Les Ministres européens de l'Agriculture ont décidé voici quelques semaines de lever, pour une année, les jachères obligatoires pour les cultures de céréales. La mesure doit permettre aux agriculteurs d'étendre leurs semis de l'automne 2007 et du printemps 2008 afin de donner un peu d'air au marché des céréales confronté à une hausse importante des prix. En levant l'obligation de jachères qui pèse sur 10 % des terres cultivables, l'Europe espère un gain de dix millions de tonnes supplémentaires de céréales. Et, dans les prochains mois, c'est le principe général même du gel des terres qui va être remis en cause à l'occasion des débats sur le « bilan de santé de la PAC ».

On assiste à un curieux retournement de situation, quand on sait qu'il y a une quinzaine d'années à peine, les jachères étaient instaurées pour répondre à une surproduction devenue structurelle. Aujourd'hui, cette suppression des jachères conduit cependant certains milieux de protection de l'environnement à s'inquiéter. Si l'augmentation des prix améliore le revenu des agriculteurs, les conséquences environnementales de cette suppression des jachères sont, elles, largement sous-estimées.

En effet, les jachères bien gérées constituent des refuges de la biodiversité au sein des plaines cultivées. Etant par ailleurs situées dans les zones moins productives, elles contribuent à réduire la pollution de l'eau par les produits phytosanitaires et l'érosion des sols, jouant par là même un rôle important dans la protection des milieux aquatiques.

Cette mesure a aussi pour effet de favoriser des pratiques agricoles plus intensives au détriment de l'environnement. Ne craignez-vous pas, Monsieur le Ministre, que ces mesures de suppression de la jachère ne présagent en même temps la perte d'attractivité des mesures agro-environnementales et une intensification des pratiques agricoles et que cela conduisent in fine à un nouveau déclin de la biodiversité ?

M. Benoît Lutgen, Ministre de l'Agriculture, de la Ruralité, de l'Environnement et du Tourisme.

Effectivement, l'instauration de la jachère au début des années nonante visait avant tout à répondre à un problème d'ordre structurel, qui se traduisait notamment par la constitution de stocks très importants. La jachère a permis, par ailleurs, de rencontrer de vraies préoccupations environnementales, notamment par le biais du choix des couverts, de la présence d'espèces mellifères ou de la création de programmes de gestion des jachères spécifiques tels que la jachère faune, par exemple. Concernant une éventuelle suppression de la jachère, je reste vigilant par rapport aux conséquences environnementales.

Toutefois, plusieurs éléments inhérents au contexte me permettent de relativiser quelque peu les craintes et inquiétudes de certains. J'en vois quatre. Le premier élément relève de la situation observée jusqu'à maintenant. En Wallonie, sur les 17.410 hectares déclarés en jachère pour l'année 2007, 7.650 hectares sont exploités dans le cadre du régime de jachère non-food. Quarante-quatre pour cent des jachères sont déjà occupées, en Wallonie, par du froment, du colza ou du maïs cultivés à des fins non-alimentaires. En d'autres termes, l'impact potentiel d'une suppression pure et simple de la jachère ne concernerait en fait qu'environ 10.000 hectares.

Le deuxième élément concerne le type de parcelle qui a été retenu par les producteurs pour y installer des jachères. En effet, sur les 10.000 hectares réellement en jachère, une proportion de parcelles relativement importante est constituée de bordures de bois peu rentables, de zones humides, de zones de passages ou de coins de terres difficilement accessibles et pour lesquelles une remise en culture est peu probable. Le potentiel de rendement est faible. Les coûts de remise en culture sont importants. Ces parcelles bénéficient le plus souvent d'aides spécifiques émanant des mesures agri-environnementales. Dans ce cas, et pour ces terres au potentiel limité, la différence de rendement économique reste positive en faveur du maintien en jachère.

Le troisième élément, c'est la mise en place de la conditionnalité. Depuis la réforme de 2003, l'accès aux aides directes est conditionné au respect d'un certain nombre de normes ayant un impact direct sur les pratiques culturales. De ce fait, des réductions d'aides pouvant atteindre des montants importants sont appliquées en cas de non-conformité par rapport à des règlements en matière : • de protection des habitats • de protection des eaux • d'utilisation de produits phytosanitaires • de maintien de la superficie des prairies permanentes.

Ce dispositif assure donc un encadrement efficace des pratiques agricoles sur les parcelles cultivées ou gelées.

Enfin, le quatrième élément, réside dans la volonté de la Commission européenne. En effet, dans l'hypothèse d'une suppression totale de la jachère qui sera examinée dans le cadre du « Bilan de santé » de la PAC, la Commission entend clairement préserver les effets bénéfiques du système de la jachère sur l'environnement, par le biais de mesures ciblées. L'éventuelle suppression de la jachère ne pourrait donc s'inscrire que dans un contexte radicalement différent de celui qui a vu son instauration ou qui l'a précédé. Indépendamment de la situation actuelle des marchés, les orientations introduites dans la PAC depuis 1992 et confirmées dans le cadre de la révision à mi-parcours ne seront pas remises en cause dans le cadre du bilan de santé.

Je reste évidemment très attentif à l'évolution de ce dossier afin de garantir aux producteurs un cadre social et environnemental qui leur permette d'assurer la rentabilité de leurs activités et aux acteurs de l'environnement le maintien et l'amélioration de la biodiversité.

M. Carlo Di Antonio (cdH).

Je remercie M. le Ministre pour ses réponses. Nous devons cependant rester attentifs quant à l'impact environnemental de cette politique. Si on peut se réjouir des modifications intervenues au niveau du système de la jachère qui permettront à l'agriculture de remplir au mieux sa fonction nourricière, il ne faut pas oublier les dérapages possibles qui pourraient s'ensuivre.