Parlement de la Communauté française

Question orale à la Ministre de la Culture, de l'Audiovisuel et de la Jeunesse

Carlo Di Antonio:Madame le Ministre,

Le contentieux entre le CSA et la SA TVI, à propos de la diffusion des chaînes RTL-TVI et Club RTL, a franchi une étape supplémentaire ce 29 novembre. Le Collège d'autorisation et de contrôle du CSA a condamné TVI à une amende de 500.000 euros qui ne sera recouvrée que dans 3 mois si TVI n'a pas introduit de demande d'autorisations de diffuser les services RTL-TVI et Club RTL.

En prenant la décision de ne conserver que sa licence luxembourgeoise en janvier dernier, et en se soustrayant ainsi à la législation de la CF et à l’autorité du CSA, TVI aurait violé l’article 33 du décret sur l'audiovisuel en diffusant « sans autorisation » les programmes de RTL-TVI et de Club RTL sur le territoire de la CF. La question centrale de ce contentieux est de savoir qui de TVI (société de droit belge basée à Bruxelles) ou de CLT-UFA (société du groupe RTL Group établie à Luxembourg) doit être considéré comme l’éditeur de service des 2 chaînes diffusées en Belgique. De la réponse à cette question dépend l’application du décret sur l’audiovisuel et donc la demande d’autorisation de diffusion des deux chaînes.

Le Conseil européen "Éducation, jeunesse et culture" s’est penché sur la révision de la directive TVSF le 13 novembre dernier. La version de la directive actuellement sur la table est régie par la règle du pays d'origine : ce sont les règles du pays où le fournisseur de services est effectivement installé qui s'appliqueraient désormais aux services audiovisuels. On comprend toute la pertinence de cette disposition dans le débat qui occupe le CSA et TVI.

La version actuelle du texte a ceci d’intéressant qu’elle tente de désamorcer le problème de la délocalisation et du ciblage d’audience : les Etats seraient incités à régler ces problèmes par la voie du dialogue et de la coopération de préférence avant que les licences ne soient octroyées. Elle prévoit des procédures auxquelles les Etats membres concernés peuvent désormais avoir recours. Quoiqu’il y ait des avancées en la matière, il semblerait que l’appréciation des éléments de la délocalisation ou du ciblage d’audience reste sujette à interprétation et que la procédure soit non contraignante.

J’en viens à mes questions :

- TVI a annoncé un recours au Conseil d’Etat contre la décision du CSA. Si ce recours est suspensif, comment concilier la diffusion illégale de RTL-TVI et de Club RTL au prescrit du décret sur l’audiovisuel ? Quel impact pourrait avoir la révision de la directive TVSF sur l’affaire en cours ? Je pense notamment aux discussions autour du principe du pays d’établissement.

- De manière générale où en sont les débats sur la directive TVSF à propos de son champ d’application, du placements de produits, des règles quantitatives en matières de publicité et de la protection des mineurs ?

- Le 12 décembre prochain, le Parlement européen doit adopter le texte de la directive en première lecture. Les amendements que vous aviez proposés en mai à propos de la délocalisation et du ciblage d’audience ont-ils été pris en considération ? Quelle a été l’évolution du texte depuis lors ? Peut-on encore espérer voir évoluer le texte en notre faveur après le Conseil du 13 novembre dernier ?

- Le décret sur la radiodiffusion doit être modifié. Ferme-t-on déjà les grands axes de cette modification en regard du texte de la directive TVSF ?

Mme Fadila Laanan, ministre de la Culture, de l’Audiovisuel et de la Jeunesse : – Avant de répondre aux questions qui m’ont été posées, je voudrais préciser que le principe d’application du droit du pays d’origine pour le radiodiffuseur est inscrit dans la directive Télévision sans frontières depuis son origine, en 1989. Il s’agit d’ailleurs de l’un des rares textes européens où ce principe a été aussi fermement exprimé. En 1997, le texte a été amendé pour que soient précisés les critères permettant de rattacher un radiodiffuseur à la compétence d’un État.

Le recours au Conseil d’État contre la décision prise par le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA est la procédure normale de contestation de ce type de décision. Je rappelle en effet que le CSA est une autorité administrative, et non judiciaire.

Le recours n’est pas suspensif. Quand la décision du CSA sera devenue exécutoire, RTL pourra faire opposition à son exécution forcée par contrainte et huissier. Un délai de trois mois est prévu pour forcer RTL-TVI à se mettre en règle, par exemple en obtenant une autorisation délivrée par la Communauté française.

La procédure de révision de la directive « Télévision sans frontières » ne devrait avoir aucun impact sur l’exécution de la décision du CSA.

D’ailleurs, personne ne conteste que CLT-UFA est une société établie au Luxembourg, ni que la société SA TVI est établie en Belgique. La décision du CSA tranche la question de la responsabilité éditoriale des services de TVI et de Club RTL. Cette responsabilité établie, le CSA a conclu à l’absence d’autorisation sur la base du droit du pays d’origine, à savoir la Communauté française.

La contribution de la SA TVI à la production audiovisuelle en Communauté française reste due. La décision du CSA a levé toute ambiguïté sur la compétence de la Communauté française.

La SA TVI s’est vue accorder un délai pour solliciter les autorisations requises. TVI devra s’acquitter de ses obligations relatives à l’année 2006 au moyen d’un versement au Centre du cinéma et de l’audiovisuel et pas sous forme d’investissements directs dans la production en exécution d’une convention conclue entre l’éditeur de services, le gouvernement et les associations représentatives des producteurs et des artistes-interprètes de la Communauté française. À la suite de la décision du CSA, le ministère de la Communauté française devrait mettre en oeuvre la procédure de recouvrement de la contribution à charge de TVI pour l’année 2006.

Depuis 1987, la SA TVIi a régulièrement investi dans la production audiovisuelle de notre communauté. Je présume qu’elle a poursuivi dans cette voie en 2006. Sous réserve de certaines vérifications juridiques, d’un accord des parties à la convention à conclure en vue de fixer les modalités d’exécution de la contribution à la production audiovisuelle et de l’octroi d’une autorisation à la SA TVI avec effet rétroactif au 1er janvier 2006, je suis disposée à proposer au gouvernement la conclusion d’une convention au lieu d’exiger une contribution financière au Centre du cinéma et de l’audiovisuel.

Le 11 décembre, le groupe RTL a déclaré unilatéralement son intention de poursuivre sa politique d’investissement par le biais de la SA TVI dans la production audiovisuelle de notre communauté.

De la part d’un groupe européen, un tel engagement n’est pas négligeable, d’autant qu’il est soutenu par les associations représentatives des producteurs et des artistes-interprètes de la Communauté française. Cette reconnaissance de notre secteur professionnel est un élément positif. Aussi, je ne verrais personnellement aucun inconvénient à ce que la SA CLT puisse valoriser les investissements qu’elle réalise en Communauté française au titre de la contribution de sa filiale, la SA TVI.

Un système analogue existait à l’époque où Canal+ Belgique faisait partie du groupe Canal+. J’ai bien été invitée par mon collègue Jean-Louis Schiltz à la séance au cours de laquelle le groupe RTL a fait sa déclaration d’intention. J’ai choisi de m’abstenir étant donné la procédure pendante devant le CSA. Bien sûr, je me réjouis de l’engagement pris par RTL d’investir dans notre production audiovisuelle mais chacun doit rester à sa place. Mon absence était donc délibérée.

La décision du CSA est importante et il faudra que nous puissions exécuter la procédure jusqu’au bout. Je ne veux toutefois pas m’immiscer dans ce débat puisque des recours sont en cours de la part de TVi. Cela étant, il n’est pas certain que cette société demandera une autorisation en Communauté française.

C’est pourquoi les travaux de la révision de la directive Télévision sans frontière continuent à retenir toute mon attention.

Les orientations générales définies par le Conseil européen des ministres de l’Éducation et de la Culture, réuni le 13 novembre dernier, offrent de nouvelles solutions pour le ciblage d’audience. D’abord, et c’est un résultat tangible du séminaire ministériel informel que j’avais organisé au mois de juin à Bruxelles, un considérant de la directive devrait souligner l’importance particulière que doit revêtir la coopération étroite entre États et régulateurs de ces États lorsque se pose la question de l’impact que peut avoir un radiodiffuseur établi dans l’un de ces États sur un autre État. Cette coopération est d’autant plus nécessaire lorsqu’un État s’apprête à délivrer une autorisation à un radiodiffuseur qui est actif également en dehors de son territoire.

Ensuite, le projet de texte de la directive contient deux articles destinés à encadrer le ciblage d’audience. Le premier s’inscrit dans la logique de coopération déjà décrite. En cas de ciblage, l’État visé qui aurait adopté des règles plus contraignantes que celles de la directive pourrait prendre contact avec l’État d’établissement pour veiller à ce que le radiodiffuseur visé respecte ces règles plus strictes. Le second article permettrait à un État ciblé qui n’aurait pas obtenu satisfaction de prendre les mesures appropriées vis-à-vis d’un radio-diffuseur qui se serait établi dans cet autre État pour contourner les règles plus strictes en question.

Dans l’état actuel des négociations de la directive, une nouvelle piste pourrait donc s’ouvrir à nous, qui s’inscrit dans la coopération entre le Luxembourg et la Communauté française. J’ai déjà eu l’occasion de m’entretenir à ce sujet avec mon collègue luxembourgeois mais il serait prématuré de tirer aujourd’hui des conclusions quant à l’attitude du gouvernement voisin. Une nouvelle rencontre est prévue en janvier 2007.

Suite au conseil du 13 novembre, le champ d’application de la directive devrait englober les services de télévision et les services de vidéo à la demande. Le placement de produits serait interdit par principe.

Toutefois, les États qui le souhaitent pourraient l’autoriser dans les films, séries, émissions de divertissement et retransmissions sportives, moyennant le respect de conditions comme l’interdiction de placer des produits dans les programmes pour enfants.

Les temps autorisés de diffusion de communication commerciale devraient se limiter à un volume de 20 % d’une heure d’horloge, par exemple entre 20 et 21 heures. Les normes de protection des mineurs ont été maintenues mais adaptées à l’extension du champ d’application aux services à la demande.

Nos amendements à la directive en cours de révision n’ont évidemment pas été retenus tels quels. Toutefois, les éléments de texte que j’ai mentionnés sont des avancées intéressantes, quasiment inespérées lorsqu’on connaît le désintérêt de nombreux grands États européens pour le phénomène de délocalisation et de ciblage d’audience.

La balle est maintenant dans le camp du Parlement européen qui devrait rendre, ce jour, un avis sur le texte déposé par la Commission. Pour le moment, je ne dispose pas d’informations à ce sujet.

Par ailleurs, monsieur Di Antonio, il est trop tôt pour intégrer dans le décret sur la radiodiffusion les modifications que pourraient apporter les travaux de révision de la directive Télévision sans frontière. Ce décret intègre déjà les services non linéaires mais il convient de le peaufiner. Il faut surtout l’adapter rapidement à l’état actuel de la directive et de son interprétation par la Commission européenne.

Monsieur le président, je voudrais reprendre la parole parce que je n’ai pas répondu à une question de M. Jeholet. Il n’est pas exact que j’entretienne de mauvais rapports avec le groupe RTL. J’ai des discussions avec tous les opérateurs qui travaillent dans notre Communauté et le dialogue est permanent.

C’est ainsi que j’ai eu de très nombreux contacts avec mon collègue luxembourgeois afin de trouver des solutions. Nous avions anticipé la coopération, inscrite dans la directive « Télévision sans frontière ». Je pense néanmoins qu’il n’est pas opportun, suite à une possible procédure judiciaire, qu’un responsable politique paraisse légitimer une situation particulière.

Je me réjouis de la déclaration d’investissements. Je voudrais ajouter qu’on ne parle pas de durée dans cette déclaration volontaire d’investissements.

Le groupe RTL s’engage à mettre des moyens à disposition des producteurs et à les rencontrer deux fois par an pour discuter des montants des investissements. On ne connaît donc pas la durée de la convention, ni l’étendue des montants mis à disposition. RTL semble être un opérateur sérieux et manifester une réelle volonté de rentrer dans les rangs. J’espère donc qu’il réintégrera la législation de la Communauté française et pourra ainsi travailler dans les mêmes conditions d’équilibre que tous les autres opérateurs, qu’ils soient privés ou publics.

M. Carlo Di Antonio (cdH) : – Je voudrais revenir sur un aspect important de la réponse de la ministre et sur la directive « Télévision sans frontière ». La ministre a rappelé un des acquis importants du séminaire ministériel de juin dernier : la procédure de conciliation entre le pays d’origine et le pays de réception des programmes. Le texte actuel ne résout pas la mise en place de la procédure mais j’espère que nous pourrons faire évoluer cette situation.